Conditions de travail des professeurs du secondaire : une enquête inquiétante.

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En décembre 2019 sont parus les résultats d’une enquête nationale de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) menée auprès des personnels du second degré de l’Education nationale au printemps 2019. Première du genre, elle nous renseigne sur la réalité du terrain, le point de vue que les professeurs, personnels d’éducation et d’encadrement, portent sur leur métier et ses modalités. Les constats sont édifiants.

L’enseignement public moins bien loti que le privé

La première lecture de ce rapport met en exergue une différence très nette entre les conditions de travail dans le public et dans le privé. Ainsi, concernant les apprentissages des élèves, on apprend que seuls 51,8 % des professeurs du public estiment que leurs élèves apprennent « tout à fait ou plutôt bien », contre 77 % dans les établissements privés. Un enseignant du public sur deux est donc confronté à un sentiment d’impuissance, d’inefficacité. A lui seul, ce chiffre en dit long sur la grande souffrance morale des enseignants du public.

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Comment l’expliquer ? D’abord, par le climat scolaire, c’est-à-dire tout ce qui peut créer de la tension et de l’insécurité dans les établissements. L’enquête de la Depp nous dit ceci : dans le public, 59 % des enseignants déplorent des faits de violences récurrents, alors qu’ils ne sont que 34 % dans le privé à y être confrontés. Ces violences sont les suivantes : moqueries, insultes, vécues par 30 % des profs du public contre seulement 13 % des enseignants du privé ; vols et dégradations du matériel pédagogique à hauteur de 13 % dans le public et moitié moins dans le privé ; menaces directes ou indirectes, y compris sur internet, pour 13,5 % des professeurs du public contre 8% pour leurs homologues du privé. Par ailleurs, les faits plus graves tels que coups, menaces avec armes, agressions sexuelles, vols d’objets personnels ou dégradation de véhicules, harcèlement, bousculades intentionnelles, etc., émaillent le quotidien d’un professeur du public sur quatre (24,7 %), contre un sur six dans le privé (16 %). D’après une autre enquête de la Depp de 2017, on peut ainsi chiffrer à au moins (tous n’étant pas enregistrés dans la plateforme CIVIS) 442 incidents graves, entre élèves ou à l’encontre des enseignants, signalés chaque jour dans les collèges et lycées.

S’il faut retenir que, même dans le privé, la violence au sein de l’institution scolaire atteint des scores préoccupants, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi l’écart est aussi important entre les deux types d’établissement. Plusieurs données se dégagent :

  • Un élève sur cinq fréquente un collège ou lycée privé en France (un des plus hauts taux d’Europe), et parmi eux, il y a deux fois plus d’enfants de chefs d’entreprise, de professions libérales, de cadres supérieurs, que dans le public. Cet écart social a des conséquences : on sait que les catégories dites favorisées offrent un cadre culturel et éducatif plus proche de celui de l’école que celui des classes sociales dites défavorisées. Pour le dire clairement, il y a des livres, des sorties culturelles, un vocabulaire quotidien plus élaboré, des règles de vie à respecter, la possibilité de cours particuliers, plus souvent chez les cadres que dans les autres milieux sociaux. Les enfants de cadres ou de professions libérales sont donc mieux armés pour s’adapter aux contraintes du cadre scolaire.
  • De plus, les mères des enfants du privé sont plus souvent diplômées du baccalauréat (a minima) que dans le public : l’écart est de 11 %. Cela leur permet de venir en aide à leurs enfants plus facilement, pour les devoirs notamment.
  • Enfin, il y a dans le privé deux fois moins d’élèves ayant au moins un parent immigré et deux fois moins d’élèves issus d’une famille monoparentale. Les problèmes de compréhension de la langue et de disponibilité parentale accentuent donc les difficultés des élèves du public.

Globalement, on peut donc dire que les élèves des établissements privés ont des parents plus favorisés socialement, plus diplômés, plus impliqués dans la scolarité, plus en phase avec le cadre scolaire. Cela conduit nécessairement à une vision de l’école plus positive et à des comportements plus adaptés.

Pour autant, et il est important de le souligner, les collèges et lycées publics sont aussi performants que ceux du privé, à classe sociale égale : une étude faite par l’OCDE en 2011 montre que l’écart de performance n’est que de 2,4 %, à classe sociale équivalente. Autrement dit, si les élèves défavorisés étaient plus présents dans les établissements privés, ces derniers n’auraient pas de meilleurs résultats que dans le public.

Des élèves qui ne veulent plus apprendre

L’autre chiffre très préoccupant de cette enquête de 2019, qui explique aussi en grande partie la tragédie des professeurs du secondaire aujourd’hui, c’est celui des refus ou contestations d’enseignement, ou, pour le dire autrement, des élèves qui refusent de travailler : 47, 5 % des enseignants du public y sont confrontés, et 25,6 % dans le privé. C’est-à-dire que, même avec des conditions de départ plus favorables et un cadre familial plus porteur, les élèves du privé opposent à leur enseignant une résistance plus ou moins active dans un cas sur quatre. Seul un prof sur deux, dans le public, peut enseigner sans se heurter à ce refus ou contestation.

Donc, outre le fait d’être confronté à de la violence très régulièrement, l’enseignant français est aujourd’hui dans une véritable impasse pédagogique : on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif, comme dit le dicton. La situation est particulièrement problématique dans les collèges et lycées publics, où enseigner est devenu tout simplement une épreuve de force face à des élèves qui n’éprouvent pas la motivation nécessaire (un cas sur deux). Pour autant, les injonctions de réussite n’ont jamais été aussi fortes, de la part de l’institution comme des parents, face à la menace du chômage. On demande aux professeurs de faire réussir des élèves qui n’en ont cure, ce qui se manifeste par une résistance active (violences) et passive (refus de travailler).

professeurs en détresse

Une charge de travail trop importante pour les professeurs

Pourtant, les enseignants ne ménagent pas leur peine pour surmonter toutes ces difficultés : l’enquête indique que seuls 38 % des enseignants (public et privé) estiment ne pas avoir trop de travail (et donc 62 % croulent sous le poids des tâches à accomplir). Rares sont d’ailleurs ceux qui envisagent de poursuivre le métier jusqu’à la retraite : ils ne sont que 46 % (38 % dans le public, 58% dans le privé, un écart encore significatif) à se voir encore prof encore longtemps, alors que l’opinion publique reste fermement convaincue que la profession apporte énormément de privilèges.

On comprend mieux, dès lors, à quel point le « malaise » enseignant est immense, puisqu’ils sont tout de même 90 % à demeurer intéressés par leur métier, à y trouver du plaisir et du sens quand ils peuvent le faire correctement.

En lycée professionnel et en collège REP, la souffrance est plus grande pour les professeurs

Si un professeur du secondaire sur deux se désole de faire cours à des élèves qui se fichent comme d’une guigne de ce qu’il a à leur apprendre, le chiffre double en collège d’éducation prioritaire : seul un professeur sur quatre a devant lui des élèves réceptifs. Pis : ils sont 83 % dans ces établissements à se lamenter de la violence vécue au quotidien. Un chiffre qu’on retrouve dans les lycées professionnels : 65 % des enseignants qui y travaillent sont confrontés à des problèmes importants de comportement des élèves.

Cependant, et c’est un des rares aspects positifs de l’enquête, les relations avec les parents d’élève y sont bonnes : 90 % des professeurs enseignant en collège REP et un peu plus de 80 % de ceux exerçant en lycée professionnel estiment qu’ils ont de bonnes relations avec les parents de leurs élèves. Que faut-il en déduire ? D’une part que ce type de parent, souvent éloigné de la culture scolaire, n’ose pas s’immiscer dans le travail des enseignants, ni contester leur expertise. D’autre part, que les élèves de ces établissements rejettent massivement l’institution scolaire malgré l’adhésion dont peuvent témoigner leurs parents. Autrement dit, la coéducation n’a ici aucun effet, ou trop faible pour être perceptible. Il conviendrait de s’interroger sur les causes de ce rejet massif, mais cela dépasserait largement le sujet de cet article.

Un système scolaire à revoir ?

Dans le public, un professeur sur quatre éprouve de l’appréhension à se rendre sur son lieu de travail, et la moitié déplore une formation inadaptée aux conditions d’exercice. De plus, ils sont 42 % à manquer de temps pour mener à bien leurs missions, et 45 % dénoncent des moyens insuffisants.

Il est donc évident que beaucoup des professeurs du secondaire réclament des changements importants, contrairement à ce que laissent entendre les personnels du ministère, qui les taxent souvent d’immobilisme. Mais pas n’importe quels changements (33 % se déclarent dépassés par les changements trop rapides de ces dernières années) :

  • La possibilité de travailler dans des conditions sereines, sans être en butte à des violences récurrentes. Pour cela, il faudrait des moyens de coercition efficaces, et sans doute une meilleure coopération des parents d’élève (en amont et en aval).
  • Un volume horaire d’enseignement qui corresponde à la réalité du terrain : les programmes ne tiennent pas compte du niveau réel des élèves, ni de leur manque de motivation, ni de leur hétérogénéité. S’il faut enseigner l’accord du participe passé alors que la classe ne sait pas ce qu’est un verbe, il faut compter non pas une heure, mais 6 ou 7, pour faire assimiler cette notion. En outre, les multiples « éducation à » (à l’égalité filles/garçons, à la sécurité routière, à la citoyenneté, à l’orientation, au développement durable, à la santé, etc) empiètent sur les temps disciplinaires, et ne s’articulent pas si aisément avec les programmes, ce qui oblige à faire des choix au sein de ces derniers.
  • Une formation initiale et continue qui tienne compte, encore une fois, de la réalité du terrain, et qui ne s’appuie pas exclusivement sur des recherches ou des études menées sur de faibles échantillons d’élèves.
  • Des effectifs de classe réduits et des AVS en quantité suffisante, compte tenu des problématiques de plus en plus nombreuses à gérer (élèves à besoins particuliers, notamment).
  • Une politique d’évaluation différente : le temps passé sur les corrections de copies est gigantesque et ne semble pas apporter de preuves d’efficacité, par rapport à des pays où les évaluations sont nettement moins fréquentes. Or ce temps de correction, réalisé essentiellement soirs et weekends, empiète sur le nécessaire repos des enseignants et contribue à leur donner le sentiment d’une surcharge de travail délétère.
Professeurs déprimés

Travailler plus pour gagner moins : la paupérisation des professeurs

Les données de l’enquête de la DEPP sont donc éclairantes à plus d’un titre. Elles permettent de démontrer que les plaintes des professeurs du secondaire sont liées non à des ressentis fallacieux ou à des caprices, mais au caractère endémique de conditions de travail devenues intolérables. Comme pour les personnels hospitaliers, les pompiers ou d’autres personnels des services publics, la dégradation du cœur de métier est devenue quasiment insurmontable. Non seulement les professeurs du secondaire ne peuvent plus vraiment enseigner, faute d’un public réceptif, mais ils doivent en outre essuyer toute la violence sociale dont les élèves se font l’écho virulent. Comment s’étonner, dès lors, que les concours de recrutement ne fassent plus recette, que le taux de démissions explose, que les plus investis se suicident ou sombrent dans le burn-out ? Mais, comme si leur situation n’était pas déjà tragique, comme si, malgré ces effroyables conditions, ils n’étaient pas paupérisés jusqu’à être obligés de prendre un second métier pour boucler les fins de mois, ils sont en outre la proie d’une nouvelle attaque de la part de leur employeur : même leurs retraites seront misérables, alors que la perspective d’un repos du guerrier décent demeurait leur seul maigre lot de consolation.

Source :https://www.education.gouv.fr/cid143816/resultats-de-la-premiere-enquete-de-climat-scolaire-aupres-des-personnels-du-second-degre-de-l-education-nationale.html

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