Faut-il aimer les élèves pour être un bon prof ?

aimer les élèves

En principe, enseigner, dans le secondaire, signifie aimer sa discipline et les adolescents en général. Mais d’aucuns estiment qu’on ne peut être un bon prof si on n’aime pas, aussi, ses élèves.

L’ouvrage de Mael Virat, « Quand les profs aiment les élèves » (avril 2019, Odile Jacob) fait figure de pavé dans la mare. Aimer les élèves ? Et pourquoi pas les border le soir aussi ? Le verbe « aimer » n’a pas bonne presse dans les établissements secondaires. On lui préfère le substantif « bienveillance ». Non seulement parce que la polysémie peut s’avérer tendancieuse (aimer évoque spontanément la relation amoureuse), mais aussi parce que depuis longtemps la relation affective entre adultes et mineurs est circonscrite au cercle familial. De plus, avec la montée des incivilités et violences dans les collèges et lycées, les profs sont peu enclins à verser dans l’affectif.

Aimer les élèves leur permet de progresser de 10 % environ

Pourtant, le chercheur Mael Virat assure qu’aimer les élèves peut permettre à ces derniers de progresser de manière significative, à hauteur de 10 % environ. En s’appuyant sur diverses études (américaines pour la plupart), il établit un lien certain entre implication affective du professeur et motivation des élèves. Ceux-ci ne travaillent pas davantage pour faire plaisir au prof, mais s’intéressent plus à sa matière, explique l’auteur. Il nomme « amour compassionnel » cet investissement affectif envers les apprenants.

« L’amour compassionnel est une relation asymétrique de responsabilité de l’adulte envers l’enfant. Cette responsabilité implique un intérêt pour l’enfant et une grande attention. Cela coûte de l’énergie et fait que l’enseignant est personnellement affecté émotionnellement par la réussite ou l’échec de l’élève. Mais il sait qu’il n’a pas à attendre grand chose en retour.

C’est une relation qui n’a pas besoin de limites car par définition elle est attentive à l’autonomie de l’élève. C’es le contraire du copinage, de l’intrusion ou de la relation amoureuse.

La question c’est comment exprimer cet engagement affectif. ça n’implique pas le tutoiement. Mais ça impose un engagement comportemental pour le professeur ».

source : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/04/05042019Article636900478867665438.aspx

La relation affective entre enseignants et élèves a longtemps été considérée comme nécessaire. Coménius (père de la pédagogie moderne, dont le nom a été donné à un programme éducatif européen bien connu) disait au 17e siècle « Qu’on parle pour féliciter, exhorter, réprimander, il faut s’inspirer du principe suivant : celui qui ordonne, enseigne, conseille, réprimande doit montrer clairement qu’il fait cela paternellement. Le but du maître est d’élever les cœurs, non d’abaisser la personne. Si cette affection n’est pas sentie par les élèves, ils méprisent la discipline avec obstination. » Plus tard, ceux qu’on appelle « Les pédagogues du coeur » (
Pestalozzi , Bosco, Deus Ramos, Neill, etc) prôneront également cette implication affective.

Cependant, cette vision de la pédagogie n’a pas obtenu le suffrage des autorités et, aujourd’hui, il n’est pas rare qu’un inspecteur réprimande un enseignant parce qu’il le trouve « trop proche de ses élèves » (sans qu’aucun soupçon de relation malsaine soit incriminé). En 2018, une collègue d’espagnol s’est ainsi vu attribuer un rapport d’inspection accablant pour ce seul motif. Cette enseignante ne faisait pourtant rien d’autre qu’encourager chaleureusement tous ses élèves, et montrer un réel intérêt pour leurs états émotionnels.

Ne pas aimer les élèves provoquerait une dissonance cognitive à l’origine de l’épuisement professionnel

Pour Mael Virat, docteur en sciences l’éducation (sa thèse porte précisément sur ce sujet) mais aussi diplômé en psychologie, il ne fait pas de doute que l’injonction (tacite ou explicite) de garder une distance affective avec les élèves est à l’origine de nombreux burn out d’enseignants, notamment ceux qui ont choisi ce métier dans une perspective humaniste (transmettre des valeurs et participer à l’élévation générale de l’élève, et non lui transmettre seulement des connaissances disciplinaires). La neutralité ou distance préconisée aux professeurs entre alors en contradiction avec le besoin qui les a orientés vers l’enseignement, et ils s’épuisent à lutter contre ce besoin.

Cependant, aimer les élèves (au sens d’amour altruiste) ne peut se faire que lorsque les conditions sont réunies. Des classes trop chargées, une charge de travail invisible trop importante, des perturbations personnelles, une détresse professionnelle, occultent la disponibilité affective nécessaire pour s’engager dans une relation d’amour « compassionnel ». Le professeur ne dispose pas, dans ce cas, des ressources internes qui lui permettraient de s’intéresser de manière authentique à l’échec ou la réussite de chacun de ses élèves. L’institution a donc un rôle majeur à jouer, puisqu’elle constitue l’instance régulatrice qui peut permettre aux enseignants de travailler dans de bonnes conditions.

Ne pas confondre amour des élèves et bienveillance

Si la bienveillance est au coeur du discours institutionnel, c’est une notion qui ne rejoint pas l’amour prôné par l’auteur. En effet, la bienveillance est souvent réduite à une série de « ne pas » : ne pas noter trop sévèrement, ne pas humilier, ne pas trop sanctionner, ne pas surcharger de travail, ne pas ennuyer, etc. C’est une démarche de contrôle, qui vise à circonscrire d’éventuelles dérives autoritaristes.

A l’inverse, la démarche d’amour « compassionnel » que défend Mael Viat s’inscrit dans une dynamique active :  » Des marques d’attention souvent non verbales. Les élèves y sont sensibles même quand ils n’en sont pas conscients. Le ton pris pour échanger ou répondre aux questions de l’élève par exemple. La joie exprimée pour sa réussite. Des attentions en dehors de la classe. Des gestes qui montrent que l’enseignant est affecté par sa relation avec l’élève. Ca peut être de la joie, de l’enthousiasme ou même de la colère du moment que ça montre l’implication du professeur dans la relation avec l’élève. Plus globalement, c’est tout ce qui montre que le professeur est investi comme individu, et pas seulement comme professionnel », précise l’auteur.

Quelques exemples concrets :

  • demander à l’élève s’il se sent mieux quand il a été absent pour maladie, ou le questionner sur les suites d’une intervention médicale, sur sa gestion de la douleur, etc.
  • écouter avec une réelle empathie ses problèmes personnels (s’il se confie), et le conseiller.
  • lui souhaiter un bon anniversaire quand ça tombe un jour de classe.
  • lui expliquer les conséquences de ses actes s’il persiste dans une mauvaise voie (y compris l’absence de travail).
  • raconter à l’occasion une anecdote personnelle, afin de créer une proximité relationnelle.
  • s’informer sur son mode de vie afin de déceler d’éventuelles raisons externes à son manque d’investissement.
  • remarquer avec gentillesse une nouvelle coupe de cheveux ou un effort d’élégance.

En somme, toute interaction qui va s’inscrire dans une relation humaine simple plutôt que dans une perspective purement professionnelle va participer de la construction de cet « amour compassionnel ». Et cela ne veut pas dire que la relation doit se limiter à cela : c’est un plus, pas un substitut. Pour le dire autrement, le prof qui aime ses élèves agit avant tout en tant que prof, mais s’intéresse aussi vraiment à chaque adolescent. Il est capable de voir l’adolescent, la personne humaine, sous l’uniforme de l’élève.


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