C’est comment, un prof ?

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C’est quoi un prof ?

Tentons de définir aussi exactement que possible cet animal étrange et suranné qu’est le prof. Suranné oui, car à l’heure des tablettes et des formations en e-learning, le Savoir scolaire est devenu une sorte de ketchup : un succédané qu’on trouve facilement n’importe où.

Le prof de France est donc descendu de sa chaire, puis de son estrade, et même de sa propre hauteur : il se penche désormais au chevet sur le cahier (ou classeur) de ses élèves pendant les cours, moyennant de fortes douleurs lombaires s’il a le malheur de mesurer plus d’1,70 m. Et au fur et à mesure qu’il a perdu ainsi de sa superbe – et de sa morgue -, il a perdu aussi de son pouvoir d’achat, de sa place privilégiée dans la société, voire même de sa dignité. Car aujourd’hui le prof s’apparente à un vulgaire prestataire de service. En tant que tel, il n’a droit à aucun égard officiel. Pour son administration, l’Education Nationale, il n’est qu’un numéro. Pour les usagers (les parents d’élève et les élèves), il n’est qu’un obstacle à l’épanouissement individuel de l’enfant. Pour l’opinion publique, il est, à l’instar des flics et des contrôleurs des impôts, l’ennemi à abattre.

Le prof, ce mal aimé

Evidemment, je caricature. Mais pas tant que ça. Si l’école (au sens large) n’était pas obligatoire jusqu’à seize ans, les profs seraient sans doute encore plus mal lotis qu’ils ne le sont déjà. On les entend se plaindre à longueur de journée, de soirée, de weekend. Et de tout : du niveau (des élèves) qui baisse, de la charge de travail qui ne cesse de s’alourdir, des réformes incessantes, de la formation insuffisante, de l’incurie de leur administration, de l’absurdité de certaines directives, de leur paye en peau de chagrin, de la violence quotidienne de leurs élèves, des difficultés de reconversion, etc.

Certes, la majorité d’entre eux n’a pas connu d’emploi dans le secteur privé et ne voit les choses que par le petit bout de la lorgnette : ils ne réalisent pas que partout, dans tous les secteurs, les conditions de travail se sont dégradées et le pouvoir d’achat a diminué. Fini le temps où l’enseignant pouvait s’acheter une résidence secondaire sans attendre un héritage. Fini le temps où le respect se gagnait par n’importe quel moyen (jet de craie, coup de baguette, humiliation verbale) ; fini le temps où l’on pouvait réutiliser les mêmes cours pendant dix ans et aller à la pêche le dimanche. La profession a radicalement changé et même si tu es très jeune, sache que tu n’enseigneras pas de la même manière que tu as été enseigné.

Les défauts du prof

Un des gros défauts du prof, c’est qu’il n’est jamais sorti de l’école. Après son bac, il a enchaîné sur la fac, passé le concours et atterri dans un collège ou un lycée, de l’autre côté du tableau noir numérique. Son univers est donc celui des études, depuis toujours. Comme il a réussi dans ce domaine, il imagine souvent que tout le monde peut en faire autant, ce qui est faux (tout au moins aussi facilement que lui). Il a beau avoir un beau-frère plombier, un oncle pilote de ligne et une cousine esthéticienne, il n’a aucune idée – ou presque – des conditions de travail des autres professions (sauf s’il lit des ouvrages de sociologie ou est fan de Ken Loach).


Le centre de son univers, c’est l’Ecole. Bien qu’il s’intéresse à l’actualité, à la politique et à son dada (en lien avec sa discipline généralement), le prof reste avant tout obnubilé par son boulot. Un dîner avec des profs est une erreur fatale : il n’y sera question que de pédagogie, de méthodes d’apprentissage, de réforme en cours et d’améliorations possibles de cette noble institution qu’est l’Education Nationale (ça vaut aussi pour les profs du privé). Ce n’est pas pour rien qu’on assimile souvent la profession à un sacerdoce : dévoué aux progrès des élèves, investi d’une mission qu’il considère comme primordiale, obsédé par son quotidien en classe, le prof peine à s’ouvrir à d’autres horizons. Non seulement il prêche pour sa paroisse (sans toutefois omettre d’en signaler les dysfonctionnements), mais en plus il y met de la ferveur.

Le prof est obsédé par son métier

Même s’il est féru de jardinage, il songe en plantant ses tomates à ce qu’il pourrait en tirer comme séquence pédagogique. Amoureux de basket, il extrapole ce qui se passe sur le terrain à une amélioration de sa gestion de classe. Au bord de la mer en plein mois d’août, il relève les erreurs de conjugaison des mômes en train de bâtir un château de sable. Dans le métro, il déplore les considérations oiseuses des lycéens qui rentrent chez eux. En passant devant un musée, il se demande s’il ne devrait pas en parler à son collègue d’Histoire ou d’Arts plastiques, en vue d’une sortie pédagogique. Bref, on l’aura compris, le prof est un animal cyclope vivant sur une île. Et, chaque jour, un Ulysse aux mille visages vient le narguer. Sauf s’il a déjà roulé sa bosse sur d’autres navires, dans d’autres secteurs, et qu’il vient à l’enseignement sur le tard. Dans ce cas, c’est presque pire : il envisage le métier comme un havre de paix où il va enfin pouvoir se reposer de l’ignominie ordinaire, et se consacrer à une noble tâche. Rapidement, il déchante et devient amer. C’était donc ça ?

Au bout d’une quinzaine d’années de labeur, le prof s’essouffle. Il songe à une reconversion. Il en a assez de l’aspect répétitif – dans le changement – de son quotidien. Il n’en peut plus du bruit (en collège), des récriminations, des copies, de la discipline à faire régner. Il est usé. C’est à cette occasion qu’il réalise que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs et que, tout bien réfléchi, il peut faire encore quelques années. Quand le mal est profond, il devient coach, ouvre une maison d’hôtes ou un cabinet de massage shiatsu. Quelque chose qui reste en lien avec la notion de service, de contact avec un public. On ne se refait pas (entièrement).

Le prof et ses enfants

Par ailleurs, le prof a en général des enfants. Puisqu’il passe sa journée avec des marmots, il lui semble naturel d’en engendrer. Deux, le plus souvent, parfois trois. Rapidement il se rend compte que c’était une erreur, car il ne sort plus du monde enfantin (pendant une grosse quinzaine d’années), et que bosser 24h/24, 365 jours par an, n’est pas une idée de génie. Le prof ne sort en effet jamais de son rôle, même avec sa progéniture. C’est la raison pour laquelle les enfants d’enseignants réussissent scolairement mieux que les autres : ils sont à l’école H24 et les vacances ne s’envisagent qu’avec des jeux pédagogiques. Des années de psychothérapie seront nécessaires par la suite…

Le prof et l’hygiène de vie

Le prof est, le plus souvent, un être à l’hygiène de vie correcte. Il vapote parfois, ne prend que peu de cuites, fait raisonnablement du sport, prend garde à sa ligne. Avoir entre 25 et 35 paires d’yeux fixées sur lui cinq à sept heures par jour l’oblige en effet à assurer un minimum. Il ne peut se permettre d’être vaseux après avoir abusé du mojito avec ses potes, ni d’assumer 40 kgs de trop pour monter les escaliers jusqu’à sa salle, bardé de sa sacoche qui pèse une tonne. Il pratique donc, plus ou moins consciemment, la politique de l’esprit sain dans un corps sain. Son cerveau étant son outil de travail, il en prend soin. Son corps étant sa vitrine, il le maintient aussi intact que possible. Au début, il ne sait pas à quel point il lui est nécessaire de faire attention à son hygiène de vie et il se laisse aller à quelques excès. Mais très vite il découvre que s’il continue ainsi, sa vie va devenir un enfer. Essaye de maitriser trente gamins quand tu as la tête dans le gaz. Bonne chance !

Côté politique, le prof votait traditionnellement à gauche jusque récemment. La donne est en train de changer du fait du brouillage gauche-droite, le parti socialiste ayant flingué les idéaux de son électorat de prédilection. Il est donc désormais possible d’entendre en salle des profs que la droite, voire l’extrême-droite, ne dit pas que des conneries. Bien que ce ne soit encore qu’un bourdonnement, on sent bien que quelque chose a définitivement basculé.

Les qualités du prof

Pour finir le portrait – à gros traits – du prof du secondaire, ajoutons l’une de ses qualités majeures : il reste jeune d’esprit (à quelques exceptions près). Grâce à ses élèves, il reste au fait de ce qui est à la mode (dans tous les domaines), conserve une saine curiosité pour la marche du monde, s’intéresse aux autres et surtout cherche constamment à se perfectionner, aussi bien en tant qu’enseignant qu’en tant qu’être humain (l’un n’allant pas sans l’autre). Même ridé et ratatiné, le prof sera capable de rire à un bon trait d’humour, de se passionner, de déployer une énergie colossale s’il sent un frémissement d’intérêt pour sa matière. Il ne s’avouera jamais battu (sauf en période de dépression) face à l’inertie de ses élèves et cherchera constamment à retrouver ces instants de grâce qui ont vu les mouches voler dans la classe et sa parole bue comme une eau de jouvence. A l’instar d’une star du rock, il s’évertuera à atteindre le sommet de son art pour goûter, une fois encore, à cette douce extase du don de soi qui élève une foule.

Je brosse ici un tableau général, que les cas particuliers s’empresseront de vilipender. Toutefois, sache qu’en embrassant cette profession, tu n’es pas à l’abri de devenir ainsi.

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