Les élèves en difficulté

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Les élèves en difficulté représentent environ un tiers des effectifs globaux dans le secondaire, un autre tiers étant celui des élèves dits « moyens », et un dernier tiers regroupant les élèves en réussite.

La difficulté, quand on est élève, est protéiforme. Elle peut se manifester par une difficulté à mémoriser, à réfléchir, à se concentrer, à mettre en relation des données éparses, à saisir des concepts abstraits, à rester serein pendant une évaluation, etc.

Bien que l’on nous parle depuis quelques années d’intelligences multiples et de « profils de mémorisation« , rien ne prouve (sur le plan scientifique) que ces théories soient efficientes. On peut toutefois les tester, afin de voir si elles ont un impact sur les résultats des élèves.

Le langage, une source majeure de difficulté

L’une des premières choses qu’un enfant apprend à faire, c’est parler. Avant même de marcher, de jeter sa cuiller par terre ou de faire sur le pot, le petit humain sait qu’il doit parler s’il veut obtenir un minimum de satisfaction dans la vie. Et ce sont les interactions avec son entourage (parents, frères et sœurs, nounou, etc.) qui vont être déterminantes dans cet apprentissage.

Or le langage, c’est le cœur même de l’école, de la petite section de maternelle aux classes préparatoires aux grandes écoles. Rien n’est plus fondamental pour réussir sa scolarité que la maîtrise du langage. Cela te semble peut-être évident, mais ça ne l’est pas pour tout le monde.

Un élève qui ne maitrise pas bien le langage, tant en termes de richesse du vocabulaire que de syntaxe, de polysémie, de grammaire, n’a aucune chance de réussir sa scolarité. Aucune.

Pourquoi ?

D’abord parce que les enseignants sont des gens qui, normalement, maîtrisent très bien le langage. Même un prof de maths ou d’EPS a dû en passer par une maîtrise fine du langage pour réussir ses examens. Et une fois que c’est acquis, impossible de revenir en arrière. Les enseignants sont des gens qui ne s’expriment pas comme monsieur tout le monde. On peut bien dire des gros mots, faire des fautes de conjugaison et d’orthographe, ne jamais lire autre chose que L’Equipe et croire que Shopenhauer était un président américain, il n’en demeure pas moins que, quand on enseigne, on manipule la langue comme un intellectuel. Sans en avoir conscience, on utilise des mots et des tournures parfaitement inconnues des élèves. Je ne parle pas de termes tels que « dichotomie » ou « malversation ». Je parle de mots comme « nauséeux » ou « aube » ou encore « dynamique ». Des choses si évidentes qu’il ne nous vient pas à l’esprit qu’autrui ne les connaisse pas. Et même cette dernière phrase est typiquement celle d’une prof, avec une double négation, inaccessible à la compréhension de bien des élèves.

Quand on est un jeune prof (et c’est encore plus vrai si on est agrégé), il n’y a pas un gouffre mais tout un univers entre le langage pratiqué par les élèves et celui dans lequel on baigne. On a beau le savoir, on ne réalise jamais totalement à quel point. On a beau simplifier au maximum, faire attention à user de termes simples, éviter les métaphores obscures et les phrases trop longues, rien à faire : nous avons toujours dix longueurs d’avance au moins sur le bagage linguistique de nos élèves.

Alors concrètement que se passe-t-il pour un élève qui vient d’un milieu aisé, d’une classe sociale dite favorisée, dont les parents à la profession rutilante usent de ce même langage à la maison ? Il se passe qu’il est comme un poisson dans l’eau à l’école, qu’il comprend tout ce qu’on lui dit, tout ce qui est écrit, et obtient donc de bons résultats s’il fournit les efforts demandés.

A l’inverse, pour l’élève qui vit dans un milieu défavorisé, dont les parents ont tôt abandonné les bancs de l’école, ayant un métier silencieux ou très technique (bâtiment, agriculture, ouvriers dans l’industrie, etc) ou qui restent toute la journée devant de la télé-réalité, le langage de l’école est quasiment une autre langue, dans laquelle surnage de temps à autre une sonorité connue, comme « voiture » ou « arbre » ou « argent ». Je schématise bien évidemment, toutes les nuances étant possibles. Mais il est clair que plus le langage utilisé à la maison est éloigné des pratiques langagières de l’école, plus l’enfant sera en difficulté. On comprend dès lors que les enfants dont les parents ne parlent pas un mot de français soient clairement en difficulté par rapport aux autres.

Bien au-delà du suivi de l’enfant, de son bien-être psychique et physique tout autant que de ses devoirs, du bain culturel dans lequel il est plongé (télé vs musées, lecture vs jeux vidéo, etc), c’est le rapport avec le langage qui est déterminant.

Si les enfants de profs réussissent bien mieux que les autres dans le système scolaire, ce n’est pas seulement parce que leurs parents estiment normal de les coucher à une heure raisonnable (avant 22 heures), leur ont lu des histoires chaque soir avant d’aller au lit, insistent pour qu’ils fassent autre chose que de tuer des dragons sur leur tablette. Ce n’est pas non plus parce que ces enfants-là bénéficient d’une bonne connaissance des mystères de l’orientation ou que leurs parents peuvent les aider à faire leurs devoirs. C’est essentiellement parce que le langage utilisé chez eux est strictement le même qu’à l’école. Avec tous les implicites que cela comporte. C’est du moins ma conclusion, qui ne minimise pas les effets bénéfiques de tout ce que je viens d’évoquer.

On peut d’ailleurs saluer la politique actuelle qui encourage à scolariser le plus tôt possible les enfants des milieux défavorisés : en étant confrontés très jeunes à un langage normal (pas de « toutou » ni de « roumroum » en classe de maternelle) et riche (variété du lexique employé), les enfants ont plus de chance de développer une compréhension aisée de ce que disent les adultes de l’école, mais aussi des textes écrits auxquels ils seront confrontés pendant toute leur scolarité.

L’Education Nationale a bien compris le rôle central du langage dans le parcours scolaire, et l’a inscrit depuis quelques années comme priorité absolue. Toutefois, dans les faits, les écarts continuent de se creuser, parce que les variations de langage d’une famille à l’autre sont de l’ordre de 1 pour 1000. Et que le langage, c’est la pensée.

La difficulté liée au milieu social, familial, sociétal.

Alors bien sûr, quand on cumule un certain nombre de handicaps, tels que le fait d’avoir des parents démissionnaires qui n’ont pas le courage de contraindre (à manger équilibré, à dormir assez, à ne pas s’abrutir devant la télé), pas de coin tranquille pour étudier, pas de ressources autres que l’école pour se cultiver, pas même assez de tranquillité psychique pour mobiliser sa réflexion (dans les familles violentes par exemple) et qu’en plus on cause bizarre ou étranger à la maison, on part avec un sacré boulet dans le cartable.

Dans certaines familles, le fait de parler une autre langue à la maison ne pose aucun problème si les parents maitrisent aussi bien le français : ils peuvent alors comprendre les documents administratifs fournis par l’établissement et les enseignants, discuter avec les profs, voire même aider leurs enfants sur les devoirs. C’est dans le cas où la famille ne parle pas ni ne comprend le français (écrit, oral) que la difficulté s’enracine.

A cette liste on pourrait ajouter bien d’autres sources de problèmes qui nuisent à une bonne scolarité, comme le rejet de l’école par la famille (traumatisée par son propre parcours) ou au contraire le surinvestissement de la réussite scolaire (source patente d’angoisses, contre performante), ou encore le temps excessif dévolu au sport ou aux divertissements. Il n’est pas rare en effet d’entendre un élève dire qu’il n’a pas fait le travail demandé parce qu’il avait un entraînement de foot ou la visite impromptue d’un oncle !

Ce qu’il faut retenir, c’est que tous les gamins aimeraient réussir. Tous, sans exception (même s’ils clament le contraire pour conserver leur dignité). Mais qu’ils ne partent pas tous sur la même ligne de départ, certains cumulant toutes les circonstances favorables alors que d’autres n’en ont aucune.

Et être prof, c’est donc tenter, tel le fils de Goliath et de Sisyphe, d’amener tout ce petit monde sur la ligne d’arrivée (le bac, le DNB) malgré les difficultés des uns et les facilités des autres.

 

 

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