Les réformes : historique et perspectives

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« On ne le répétera jamais assez, l’école française va mal ». Médias, ministres, parents, inspecteurs et même les enseignants, tout le monde s’accorde depuis des décennies pour psalmodier cette rengaine : notre système éducatif n’est pas performant. De ce fait, les réformes s’enchaînent. Et malgré toutes ces réformes, les enquêtes internationales telles que PISA ne cessent de dire que, décidément, on ne sait pas faire progresser les élèves comme il le faudrait. Qu’on est nuls, quoi. Elles montrent notamment que les élèves des milieux défavorisés réussissent moins bien que les autres, ce qu’avait déjà amplement démontré le sociologue Pierre Bourdieu (avec J.C Passeron) en 1970 dans son célèbre ouvrage « La reproduction : éléments d’une théorie du système d’enseignement ». Il s’avère que ce constat est toujours d’actualité et, pis, que plus le temps passe plus l’écart s’accentue entre garnements de bourgeois et progéniture d’ouvriers. L’Ecole française ne parvient pas, malgré ses efforts, à combler le gouffre béant qui sépare un gamin bercé par du Mozart et initié aux joies de la lecture dès la maternelle, avec un autre qui traîne dans la cité tout le weekend sans entendre jamais parler un français correct.

Depuis 1975, 14 réformes et toujours aucun résultat probant

C’est la raison pour laquelle les réformes se succèdent sur un rythme assez haletant. Chaque nouveau ministre de l’éducation, quelle que soit son orientation politique, veut se montrer digne de l’immense responsabilité qui lui incombe, et met en place une réforme. Celles-ci se succèdent donc rapidement, sans qu’on ait jamais le temps de savoir si elles auraient été efficientes. Faisons un petit tour d’horizon de ces quarante dernières années.

1975, la loi du ministre de l’Education René Haby, instaure le collège unique.

1982-1984: Alain Savary lance un projet de « grand service public unifié de l’Education ». Mais le projet de loi est retiré en juillet 1984 par le président Mitterrand à la suite de manifestations d’une ampleur exceptionnelle suscitées par la polémique entre partisans de l’école publique et de l’école privée. Savary démissionne. Toutefois, le collège unique a bel et bien été rénové : L’accent est mis sur l’importance du travail en équipe pédagogique et pluridisciplinaire, et l’élaboration de projets éducatifs. L’application de la réforme s’est faite sur la base du volontariat des établissements, ce qui en a réduit considérablement sa diffusion.

En 1984, J.-P. Chevènement succède à Alain Savary. Il insiste sur la mission de l’école, la formation générale, l’apprentissage de la lecture, la sélection des meilleurs. Il s’est également beaucoup engagé pour la revalorisation de l’enseignement et du bac techniques.

René Monory, ministre de l’éducation nationale de 1986 à 1988, fait quant à lui une première tentative d’unification du corps professoral des collèges par l’arrêt de recrutement de PEGC.

( Entre ces deux réformes, 7 années se seront écoulées).

1989: la « loi Jospin » prévoit de conduire dans un délai de dix ans « l’ensemble d’une classe d’âge au minimum au niveau du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) ou du brevet d’études professionnelles (BEP) puis 80% au niveau du baccalauréat« . Tous les bacheliers doivent être admis dans des études supérieures. La loi entend aussi lutter contre l’exclusion scolaire et les inégalités géographiques.

La scolarité est organisée en cycles, trois pour le primaire, trois pour le collège, et des cycles plus ou moins nombreux au lycée selon les filières. Un Conseil National des Programmes est mis en place pour donner des avis sur les programmes scolaires.

Les écoles, collèges et lycées sont tenus d’élaborer et d’appliquer un projet d’établissement qui détaille la mise en œuvre des objectifs nationaux et les adapte à la situation locale. La loi précise le statut des Greta en en faisant des groupements d’intérêt public.

En ce qui concerne la formation des enseignants, les Instituts Universitaires de Formation des maîtres (IUFM) sont créés.

(5 ans entre les deux réformes)

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1993: François Bayrou réforme le baccalauréat et crée les filières L, S et ES (littéraire, scientifique, économique et sociale) au lycée.

Les difficultés continuent de perturber le fonctionnement des collèges. Pour François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, le problème n’est pas que le « collège soit unique, mais uniforme donc injuste. »

La réforme du collège qu’il met alors en place est la suivante : le collège est réorganisé en trois cycles (le cycle d’observation en 6e, le cycle central 5e/4e, le cycle d’orientation 3e), des parcours diversifiés sont mis en place pour les élèves en difficultés, des études dirigées sont instaurées en 6e et 5e, les emplois du temps sont modulés sur la semaine, des enseignements sont prévus en effectifs allégés, la possibilité de choisir l’enseignement du latin dès la cinquième est prévue.

Comme souvent au niveau de l’application des réformes, un rapport de l’Inspection générale datant de mai 1997 fait état de difficultés d’application.

(4 ans entre les deux réformes)

1998: Claude Allègre prévoit une réforme des lycées qui met l’accent sur « l’égalité dans la diversité » des filières, la révision des horaires et des contenus, le développement des « activités culturelles et citoyennes ». Ses projets déclenchent la fronde des enseignants qui l’accusent de « précariser » la profession et d’instaurer « une école à deux vitesses » au détriment des élèves des zones défavorisées. Claude Allègre perd son portefeuille lors du remaniement de mars 2000. Jack Lang le remplace mais la réforme n’est pas réalisée avant le changement de majorité d’avril 2002.

En décembre 1998, la réforme des collèges lancée par Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire, s’appuie sur les conclusions du rapport « Le collège de l’an 2000» du sociologue François Dubet.

Le rapport est favorable au maintien du « collège pour tous », réaffirme son rôle intégrateur, le principe de l’hétérogénéité des classes et refuse une orientation précoce.

Le 25 mai 1999, Ségolène Royal présente sa réforme, organisée autour de trois objectifs :

* la prise en compte de la diversité des élèves : les mesures sont centrées sur l’articulation primaire-secondaire et les classes de 6e et 5e avec un dépistage des difficultés des élèves en début de CM2, une remise à niveau à l’aide d’heures de soutien, un renforcement des études dirigées en 6e et 5e,

* la diversification des méthodes d’enseignement : favoriser la pluridisciplinarité en créant des travaux croisés en 4e,

* l’amélioration de la vie de la « maison collège » : il est instauré une « heure de vie de classe », tous les quinze jours, qui donnera lieu à l’élaboration d’une charte des droits et devoirs du collégien.

Parallèlement, Ségolène Royal maintient l’enseignement de l’éducation civique au collège et crée une épreuve au Brevet.

(5 ans entre les réformes)

2001 : J. Lang et le collège républicain.

réformesDevant les difficultés persistantes dans les collèges et l’accroissement du malaise des enseignants, Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale, décide de prendre des mesures afin de « bâtir un collège pour tous qui soit en même temps un collège pour chacun. »

Sans modifier les structures du collège, il veut changer les approches pédagogiques pour mieux gérer la diversité des élèves et lutter contre l’échec, notamment par l’évaluation systématique de chaque élève.

En 6e est prévue l’inscription dans l’emploi du temps des élèves d’une période d’intégration au nouvel environnement que constitue le collège.

Quatre « itinéraires de découverte » ont été mis en place en 5e et 4e(nature et corps humain, art et humanités, langues et civilisations, initiation à la création et aux techniques).

En 3e, de nouveaux choix ont été offerts qui se sont traduits par quatre heures par semaine de cours optionnels. Les mesures se sont appliquées dès la rentrée 2001 en 6e, à la rentrée 2002 pour les 5e et 4e et enfin les 3e en septembre 2003.

Luc Ferry sera alors nommé ministre de l’éducation nationale jusqu’en 2004.

Il met en œuvre, parmi d’autres mesures, un nouveau dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif vise à adapter la réglementation à l’évolution des besoins et des pratiques des élèves et de leurs familles.

D’autre part, la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, marque la volonté très largement partagée de réaffirmer l’importance de ce principe indissociable des valeurs d’égalité et de respect de l’autre. En clair, pas de foulard islamique dans les collèges et lycées.

(3 ans entre les réformes)

2005François Fillon : la loi d’orientation pour l’avenir de l’école. (2004-2005). La loi n° 2005-380du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École met en œuvre des priorités pour élever le niveau de formation des jeunes Français : faire réussir tous les élèves, redresser la situation de l’enseignement des langues, mieux garantir l’égalité des chances, favoriser l’insertion professionnelle des jeunes et l’emploi. La loi engage la modernisation de l’Éducation nationale selon trois axes : mieux faire respecter les valeurs de la République, mieux organiser les établissements et les enseignements, mieux gérer le système éducatif. Elle a pour ambition de répondre aux évolutions de la société française et de l’école depuis ces 15 dernières années. C’est la raison pour laquelle la Nation fixe au système éducatif les objectifs suivants : que 100% des élèves aient acquis au terme de leur scolarité obligatoire un diplôme et une qualification reconnue que 80% d’une classe d’âge accède au niveau baccalauréat et de conduire 50% de l’ensemble d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur.

C’est l’avènement du socle commun des connaissances et compétences.

« Ce socle se caractérise par : la maîtrise de la langue française, la connaissance des éléments principaux en mathématiques, une culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté, la pratique d’au moins une langue vivante étrangère, la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication

Le Haut Conseil de l’Education est créé pour donner son avis au gouvernement sur les connaissances et les compétences qui doivent être maîtrisées à l’issue de la formation obligatoire.

L’école primaire et le collège, ont chacun, dans le cadre des cycles qui doivent donner du sens à la démarche pédagogique un rôle déterminant : l’école primaire apprend à lire, à s’exprimer oralement, à écrire et à compter. La formation primaire apporte aussi aux élèves des repères en histoire et en géographie sur notre pays et l’Europe, ainsi que les premières notions d’une langue vivante étrangère. Elle développe une démarche scientifique de base, une ouverture culturelle et artistique, une éducation physique et sportive.

Le collège donne à tous les élèves les connaissances, compétences et comportements indispensables à la poursuite des études, à l’exercice de la citoyenneté et à l’insertion professionnelle future.

L’acquisition du socle commun fait l’objet à chaque étape du cursus scolaire d’une évaluation qui est prise en compte dans la poursuite de la scolarité. Le diplôme national du brevet valide la formation acquise à l’issue du collège. »

C’est aussi à ce moment-là que les élèves reconnus handicapés sont intégrés dans les établissements.

« L’école doit garantir les conditions de l’égalité des droits et des chances aux élèves handicapés quelle que soit la nature de leur handicap. Le choix de scolarité doit être adapté dans le cadre d’un projet personnalisé de scolarisation qui garantit la cohérence des actions pédagogiques. De la maternelle au lycée, le parcours scolaire peut alterner ou combiner différentes modalités, et l’effort d’ouverture de structures de scolarisation adaptées est poursuivi et orienté vers le second degré » nous dit la loi.

(4 ans entre les réformes)

2008: Xavier Darcos. Une nouvelle organisation de l’école primaire à la rentrée 2008, avec la suppression des cours du samedi matin dans toutes les écoles maternelles et élémentaires.

Nouveaux programmes d’enseignement : la rentrée 2008-2009 voit l’entrée en application, dans toutes les classes, à l’école maternelle et à l’école élémentaire, de nouveaux programmes. La pratique des langues vivantes étrangères est renforcée : l’enseignement d’une langue vivante étrangère est d’ores et déjà généralisé aux classes de CE2, CM1 et CM2. Son développement se poursuit en classes de CP et de CE1 : il sera achevé à la rentrée 2010. De nouveaux programmes sont également institués en collège.

À la rentrée 2008, le déploiement d’enseignants référents contribue à favoriser la cohérence de la mise en œuvre du projet personnalisé de scolarisation des élèves handicapés. L’appui et l’aide pédagogique aux enseignants qui accueillent dans leur classe des élèves handicapés sont une priorité de la rentrée 2008.

(3 ans entre les deux réformes)

2009 : Luc Châtel et la réforme du lycée.

Luc Chatel, reprend le dossier de la réforme. Il s’inspire largement du rapport Descoings. Ses objectifs : réduire les inégalités, mieux préparer les lycéens à l’enseignement supérieur, les associer davantage à la vie de leur lycée et passer d’une orientation subie à une orientation choisie et réversible.

Une série de mesures est mise en place parmi lesquelles : l’instauration de stages passerelles et de remise à niveau pendant les vacances scolaires, une classe de première plus générale, du tutorat, un accompagnement personnalisé.

Au-delà de la réforme du lycée, plusieurs dispositifs sont mis en place au cours du quinquennat : les internats d’excellence, les ERS (établissements de réinsertion scolaire), le programme ÉCLAIR (Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite), ou encore le programme « Cours le matin, sport l’après-midi »… Avec une idée fixe : personnaliser les parcours et les solutions.

2013 : Vincent Peillon et la loi de refondation de l’école.

  • Création des ESPE (école supérieure du professorat et de l’éducation) où seront formés les futurs enseignants. Sous le gouvernement Sarkozy, rappelons que la formation spécialisée des enseignants avait tout bonnement été supprimée (exit les IUFM).
  • Accueil des enfants de moins de trois ans en maternelle, dans les zones défavorisées. Redéfinition des missions de l’enseignement en maternelle.
  • A l’instruction civique au collège succède « l’enseignement moral et civique » (EMC).
  • Un enseignement en langue vivante devient obligatoire dès le CP, pour améliorer les résultats des élèves, jugés «alarmants».
  • Mise en place d’un enseignement du numérique.
  • Réforme des rythmes scolaires : les enfants de maternelle et du secondaire devront désormais aller en classe le mercredi matin, afin de bénéficier d’activités périscolaires en fin de journée les lundi, mardi, jeudi et vendredi.

(5 ans entre les réformes)

2016 : Najat Vallaud Bel Kacem et la réforme du collège.

  • Modification des cycles du primaire et du collège. Le cycle 3 est désormais à cheval sur le primaire et le secondaire : du CM1 à la fin de la 6e. Le cycle 4 comprend la 5e, la 4e et la 3e.
  • Création des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) et des heures d’AP (accompagnement personnalisé) à raison de trois heures par semaine en 6e, puis une heure hebdomadaire sur les autres niveaux du collège. Ce sont les établissements qui fixent les contenus de ces heures d’AP.
  • LV2 en 5e (et non plus en 4e).
  • Mise en place du LSU (Livret scolaire unique, qui enregistre les compétences des élèves de la maternelle au lycée).
  • Pas plus de 26 heures de cours par semaine pour les élèves.
  • Renforcement de l’enseignement du numérique.

Pour aller plus loin : http://www.reformeducollege.fr/

(3 ans entre les réformes)

2017 : contre-réforme du collège, par le nouveau ministre Jean-Michel Blanquer

C’est juste avant les grandes vacances que nous sont parvenues les instructions de la contre-réforme du collège, alors que nous avions déjà ardemment travaillé à organiser la prochaine année scolaire (hé oui, on ne s’y prend pas à la dernière minute tant il y a de choses à faire !). Autrement dit, un sacré bazar pour tout réorganiser dans l’urgence.

Donc en juillet 2017, voici la nouvelle donne :

  • Les EPI ne sont plus obligatoires, sauf un par cycle (un sur le cycle 4 (5e,4e,3e) et aucun thème n’est imposé.
  • Les 20% de la dotation horaire dévolus à la réforme de Najat Vallaud-Belkacem demeurent utilisables en toute autonomie : on peut mettre le paquet sur les AP, ou rétablir le latin et/ou les classes bilangues ainsi que les sections européennes. Ou faire des tas d’Epi. Libres ! Chaque établissement concocte sa petite sauce perso. Sauf que les horaires disciplinaires demeurent bien réduits… On aurait aimé retrouver les 5 heures de français ou de maths hebdomadaires d’antan…
  • Les devoirs doivent être faits au collège. Des profs volontaires (payés en HSE), des associations et des étudiants en service civique seront sollicités pour assurer ces heures de soutien aux devoirs, prévus après la classe (de 16h à 18h).
  • Le dispositif d’AP (accompagnement individualisé) est maintenu, mais son horaire hebdomadaire est désormais à la discrétion des équipes pédagogiques.

(un an entre les deux réformes, un record !!)

2018 : réforme du bac (ministre Blanquer) avec application complète en 2021.

La réforme étant en cours, il est difficile de donner des indications fiables et surtout pérennes.

Pour l’heure, on sait déjà que les filières auront totalement disparu en 2021 pour le lycée général (mais pas pour le lycée technique), que des enseignements obligatoires seront appliqués dans tous les lycées, et des enseignements complémentaires proposés (trois à suivre en Première, puis deux en Terminale choisis parmi les trois suivis l’année précédente).

En Première et Terminale, voici ce que ça devrait donner (source : La Croix) :

Le contrôle continu comptera désormais pour 40 % dans l’obtention du diplôme du baccalauréat, et les 60 % restants seront décomptés comme suit :

  • Une épreuve anticipée de français en fin de première (un écrit et un oral)
  • 2 épreuves portant sur les disciplines de spécialité en Terminale, au retour des vacances de printemps.
  • 2 épreuves communes un peu plus tard : philosophie, et un oral ayant été préparé tout au long de l’année.

Quant à la seconde, elle sera assez semblable à ce qui s’y passe actuellement, à ces quelques nouveautés près :

« À la rentrée 2018, la classe de seconde ne connaît pas de changement organisationnel majeur mais de premières évolutions destinées à installer l’état d’esprit du baccalauréat 2021 :

  • Un test numérique de positionnement en début d’année pour permettre à chacun de savoir où il en est en français et en mathématiques
  • Un accompagnement personnalisé tout au long de l’année concentré sur la maîtrise de l’expression écrite et orale
  • Une aide à l’orientation pour accompagner vers la classe de première »

http://www.education.gouv.fr/cid126438/baccalaureat-2021-tremplin-pour-reussite.html#Le_dossier_de_presse_Baccalaureat_2021

Les lycées professionnels sont eux aussi en pleine réforme.

Les réformes ne peuvent pallier à tous les problèmes de société

Une brève analyse permet de se rendre compte assez rapidement qu’en termes de réforme, le réchauffé est souvent sur la table des négociations. Ainsi, les fameux EPI qui bouleversent depuis la rentrée 2016 bon nombre de collègues dans les collèges, sont une version revisitée des Itinéraires de découvertes (IDD) et des travaux croisés (4e) de Ségolène Royal. De même les AP (accompagnement personnalisé) ne sont pas d’une folle invention : on aperçoit leurs sœurs jumelles avec les heures de soutien de S.Royal ou les études dirigées de F.Bayrou. On pourrait multiplier les exemples. Les termes changent, les modifications portent sur les cycles ou le développement de certaines disciplines (langues vivantes, numérique, disciplines artistiques ces dernières années), mais fondamentalement, on reste confronté aux mêmes difficultés. Pourquoi ? La réponse nécessiterait un livre et mon devoir de réserve me contraint à conserver une neutralité de bon aloi.

Toutefois, je peux dire, sans heurter mon ministère, que la multiplication des loisirs chez les adolescents n’a pas que du bon. Autrefois, pour se divertir d’une longue journée d’étude, on n’avait pas d’autre choix que de lire, de jouer dehors avec les copains, de faire du vélo, voire une partie de scrabble ou d’échecs avec ses parents. Toutes activités qui vivifiaient le fonctionnement du corps ou du cerveau dans ses compétences logiques et créatives. Or on sait que l’activité physique est nécessaire à une bonne oxygénation du cerveau et donc à son fonctionnement optimal.

Désormais, les « djeuns » sont vautrés devant la télévision (grâce à la multiplication exponentielle des programmes qui leur sont spécifiquement dédiés) ou devant leurs jeux vidéo, ou encore devant des vidéos Youtube. Ces activités passives ne leur permettent pas d’exploiter les connaissances et compétences acquises en classe. S’ils font du sport après les cours, c’est presque pire : combien de fois ai-je entendu qu’il n’était pas possible de faire le travail demandé parce que le cours de judo ou la compétition de badminton avait pris trop de temps ! Alors les réformes, pourquoi pas, mais c’est surtout le mode de vie des ados qui est en cause…

Par ailleurs, le rapport des parents à l’Ecole a changé. Il y a cinquante ans, quand un élève se faisait punir par le professeur (pour son comportement inadéquat ou son absence d’efforts), il en prenait une seconde couche par ses parents. Aujourd’hui, il est fréquent que les sanctions soient contestées par les parents d’élève, ou simplement ignorées. Cela crée un climat délétère qui entrave fortement la crédibilité des enseignants aux yeux des élèves, et empêche de ce fait une pleine et entière adhésion de leur part. On constate dans cet historique que les nombreuses réformes n’ont jamais visé à redonner au statut enseignant sa nécessaire valeur.

Le chômage de masse a aussi un impact très fort sur la mobilisation des élèves : quand le gamin est le seul de la maison à se lever le matin, cela ne le convainc pas de la nécessité de faire des efforts pour « réussir ». L’Ecole ne remplit plus que rarement son rôle d’ascenseur social, non parce qu’elle n’en est plus capable, mais parce que la société dans laquelle nous vivons creuse les inégalités au lieu de les réduire. Et si, indéniablement, les diplômes permettent une meilleure insertion professionnelle, ils ne sont plus la garantie absolue d’accéder à un emploi bien rémunéré et choisi. Toutes les réformes du monde demeurent inefficaces si étudier ne sert plus à s’assurer un avenir correct.

Des réformes mais des heures en moins pour apprendre les fondamentaux

Enfin, si tous les experts et ministres s’accordent à dire que la maitrise du français est un préalable indispensable aux autres acquisitions, force est de constater que l’horaire qui lui est dévolu se réduit comme peau de chagrin depuis des décennies. Ainsi, en 1972, un élève de 6e bénéficiait de 6 heures de français par semaine. En 2002, il n’en avait plus que 4,5. En 2018, ce volume horaire est le même, mais doit comprendre les EPI et l’AP (durant lesquels on fait des choses passionnantes, là n’est pas la question). Cela ne semble rien, mais sur les quatre années de collège, cela représente tout de même 180 heures de cours. C’est-à-dire une année complète d’enseignement du français, à raison de 5 heures hebdomadaires. Pour schématiser, tout se passe comme si un élève d’aujourd’hui n’avait que trois ans de français au collège, au lieu de quatre en 1972. Et le constat est le même au primaire, où la multiplication des enseignements (artistiques, scientifiques, technologiques, etc.) a mathématiquement réduit le temps dévolu aux apprentissages fondamentaux que sont le français et le calcul.

Ces quelques éléments très succincts ne suffisent pas à expliquer l’échec du système scolaire français. Mais il serait naïf de croire que l’Education Nationale peut à elle seule panser les plaies de l’ensemble de la société. Et si on ne peut évidemment pas enseigner aujourd’hui comme en 1950, que l’adaptation à la modernité est nécessaire, il n’en demeure pas moins que l’impact des réformes depuis quarante ans s’avère insuffisant par rapport aux changements sociétaux majeurs qui se sont installés durant cette période.

Cela ne veut pas dire que l’Ecole française est inapte à se réformer de manière efficace. Certains changements ont eu le bonheur de se voir couronnés de succès, comme par exemple l’introduction des langues vivantes au primaire, qui a réduit l’écart de nos compétences en la matière avec d’autres pays de l’OCDE. Mais il semblerait bien que les modifications apportées les unes après les autres ne puissent endiguer un vaste mouvement de démobilisation vis-à-vis du savoir et de l’effort, prégnant surtout dans les milieux défavorisés, où Cyril Hanouna semblera toujours plus sexy que Victor Hugo ou Pythagore.

Pour conclure, j’ajouterai qu’il serait quand même sain que les réformes puissent se faire sur le temps long, afin de leur laisser au moins une chance d’être efficaces. Au rythme où elles se succèdent, les enseignants n’ont pas vraiment la possibilité de les intégrer en profondeur à leurs pratiques, ni d’en mesurer les effets, ni de prendre du recul sur leur (ou absence d’) efficience.

(Crédits photo : pixabay)

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