Florilège d’exemples du vrai travail d’un prof du secondaire

Paul est prof d’arts plastiques. Il a passé une partie du weekend à corriger les évaluations, c’est-à-dire les créations de ses élèves. Pour chaque production, cinq à six items prévalent : ce sont les compétences qui ont été travaillées ces dernières semaines. On est lundi, il est déjà fatigué d’avoir passé son dimanche à travailler. Ce midi, il mangera un sandwich : une commission éducative a lieu pour un élève de la classe dont il est professeur principal. Ce soir il restera après 17 h, pour remplir une partie des bulletins. La fin du trimestre est pour lui titanesque : 400 bulletins à remplir de manière personnalisée. Comme il est en REP, il n’a que 25 élèves par classe. Il imagine le calvaire de ses collègues qui ont 30 gamins dans chaque classe.

Jusqu’à la fin de la semaine, il restera ainsi en fin de journée pour la corvée des bulletins. Et la suivante, il restera chaque soir pour assister à des conseils de classe. Et la suivante, il restera deux soirs pour rencontrer les parents, à l’occasion de la remise des bulletins, en mains propres (pour avoir la possibilité de parler au moins deux fois par an avec les parents qui ne viennent pas aux autres rendez-vous). Et la suivante, il restera encore plusieurs fois après les cours pour préparer avec ses collègues le voyage en Espagne, auquel il participe. Ensuite il sera en vacances, mais dès la semaine de la rentrée, il ira visiter les 3e qui sont en stage, pour rencontrer leur maitre de stage et remplir la fiche référent des six élèves dont il a la charge à cette occasion. La semaine suivante, il commencera à remplir le livret de compétences pour le pallier 3.  Et ainsi de suite. Paul n’est en cours que 20 heures par semaine. Mais il rentre rarement chez lui avant 19h. Il pourrait rentrer plus tôt, s’il s’acquittait de ses charges administratives chez lui, mais il s’y refuse. « Si je bosse chez moi, c’est le tonneau des Danaïdes, ça n’en finit jamais, explique-t-il. Alors je fais tout ce que j’ai à faire au collège, et ainsi au moins je limite mon temps de travail et j’ai de vrais weekends. Enfin presque. »

Parlons maintenant d’Agathe, qui est professeur d’anglais. Elle a nettement moins de bulletins à remplir que Paul, puisqu’elle a moins de classes. Seulement six. Cependant, comme Agathe est consciencieuse et soucieuse de bien faire tout ce qu’on lui demande, elle réfléchit longuement aux conseils qu’elle peut donner à chaque élève pour qu’il progresse. Paul aussi, remarque, mais il a appris à être concis dans sa formulation.

Agathe est donc perdue dans les affres de la perplexité. Elle aimerait dire quelque chose de positif à cette petite Dorine en 6eB. Mais Dorine maitrise tellement mal le français qu’il lui sera impossible de progresser en anglais sans avoir la moindre notion de conjugaison. Impossible de dire une chose pareille. Agathe a mal au ventre, elle sait que Dorine est vouée à l’échec en anglais, au moins pour quelques années. Que dire, que faire ? Elle se fait des nœuds au cerveau. Il faut l’encourager cette petite, c’est sûr. Mais sur quoi ? « Une participation orale plus active aiderait sans doute à progresser » finit-elle par écrire, la mort dans l’âme. Il lui reste 150 bulletins à remplir. A raison de quinze minutes de réflexion par bulletin, elle sent qu’elle va faire un malaise.

Agathe a survécu aux bulletins et aux conseils de classe. Les vacances approchent, elle se réjouit : elle va pouvoir préparer le concours « Big challenge » qu’elle organise chaque année dans son collège, à la plus grande joie des élèves. Elle en profitera aussi pour lancer un nouveau projet : une journée « cup cakes », vendus au profit du foyer du collège. Il s’agira d’élaborer la recette en anglais puis de vendre dans la langue de Shakespeare. Les élèves vont adorer, c’est sûr. Mais il faut auparavant tout préparer minutieusement : l’accord du chef d’établissement, la fiche projet, la séquence didactique, les affichettes, le mot dans le casier des collègues…

Tandis qu’Agathe rêve à ses cup cakes, Ibrahim se demande s’il ne va pas demander à son médecin de l’arrêter. Il n’en peut plus. Il ne dort plus la nuit, il a tout le temps mal au dos, des angines à répétition. Mais il sait que le chef d’établissement le sermonnera s’il s’arrête : les parents gronderont. Comme ses collègues, même malade et exténué, il vient. Seuls ceux qui sont immobilisés dans leur lit sont en arrêt maladie.

La période a été rude pour Ibrahim. Il assure l’étude du soir pour arrondir ses fins de mois peu glorieuses. Tous les midis, il aide aussi les enfants en difficulté, bénévolement. Prof de maths, il a à cœur d’aider au maximum ceux qui n’entravent rien à la géométrie et à l’algèbre. Il a de bons résultats du reste. Les élèves progressent, petit à petit. Il a sa conscience pour lui.

Mais quand il rentre chez lui, il s’occupe de ses propres enfants. De 18h à 21 h. Et quand ils sont couchés, il prépare ses cours du lendemain et corrige les copies. Ibrahim ne sait pas ce que c’est que de regarder un film le soir. Il aimerait pourtant. Mais comme il ne peut pas préparer ses cours pendant les vacances, parce qu’il est un bon père de famille dévoué à ses enfants, il le fait au jour le jour. Il ne se divertit pas. Ne se repose pas. La nuit, il pense à ses élèves, se demande comment mieux leur expliquer tel ou tel théorème. Il se relève souvent pour noter les idées qui lui viennent. « C’est important de faire notre maximum pour nos élèves. Ils sont l’avenir. Les maths, c’est le sésame pour toutes les carrières prestigieuses, je me dois de les aider autant que je peux » explique-t-il.

Ibrahim est un prof consciencieux, comme tant d’autres. C’est formidable, mais épuisant. Il est au bord du burnout. Mais il culpabilise à l’idée de relâcher la pression : l’école porte de si lourdes responsabilités !

Monique quant à elle a depuis bien longtemps renoncé à sauver l’instruction. Elle n’est pas à proprement parler cynique, mais elle a vu tant de réformes inefficaces qu’elle ne croit plus au miracle. Elle ne s’émeut plus quand un élève affirme que Napoléon a remporté les plus belles victoires du XXe siècle. Elle se contente de barrer d’un trait rouge.

Cette prof d’histoire-géographie est proche de la retraite. Plus que deux ans et c’est la quille. Elle a 64 ans déjà, mais comme elle a pris des congés parentaux pour s’occuper de ses enfants quand ils étaient petits, elle doit tenir jusqu’à 66 ans pour avoir une retraite à taux plein. Elle touchera alors 1600 €. Une bonne retraite parait-il. Elle se demande comment elle va faire pour aider ses grands enfants, dont deux n’ont pas terminé leurs études.

Monique est désenchantée, mais elle passe tout de même ses soirées à chercher des vidéos sur Youtube. Pour animer ses cours, pour les rendre plus attractifs. Elle en a passé, du temps, à se familiariser avec les TICE. Ce n’était pas son univers, toutes ces nouvelles technologies. Il lui a fallu des heures et des heures pour comprendre comment tout cela fonctionnait, avec l’aide de ses jeunes collègues. Maintenant elle maîtrise. Et comme elle veut avoir la paix en cours, malgré sa voix qui ne porte plus et sa vue qui baisse, elle cherche à stimuler l’intérêt des élèves. Ils sont tout de même plus calmes quand ils sont intéressés ! Alors elle écume le web à la recherche de vidéos, d’extraits de films, d’infographies, de documentaires, pour passer au moins 10 minutes par cours dans la pénombre. L’écran hypnotise les élèves. Cela lui permet d’avoir un moment de répit.

Monique passe ses weekends à corriger ses copies. En semaine, elle n’y arrive plus. L’énergie débordante des élèves l’épuise. Ils sont pourtant mignons, tous ces gamins qui pourraient être ses petits-enfants. Ils sont attachants, pour sûr. Mais ils l’assomment de questions, aussi férocement qu’une mitraillette. Le soir venu, elle n’a plus la force de rien.

Alors elle a renoncé au cinéma, à la couture, à la belote qu’elle pratiquait avec ses amis le dimanche. Le weekend, elle corrige. Pendant les vacances, elle prépare mollement ses cours, ajuste une séquence, intervertit deux séances, refait la mise en forme d’un document. Rien de bien méchant. Autrefois, elle était plus vaillante, elle refaisait tous ses cours d’une année sur l’autre, en fonction des classes qu’elle avait. Mais elle a arrêté à la dernière réforme, se contentant désormais de puiser dans ses étagères ce qui correspond au programme en vigueur. Elle sait qu’elle n’est pas dans les clous, que si elle était inspectée elle se ferait remonter les bretelles. Mais elle n’en a cure.

Sa crainte, c’est de devoir remplir la dernière trouvaille du ministère : le livret de compétences. Elle n’y comprend rien. Elle n’y coupera pas, elle le sait, mais elle repousse au maximum. Encore des heures et des heures à passer pour décrypter ce nouvel « outil ». Cela la fatigue d’avance.

Rodrigue pour sa part n’utilise guère les TICE. Il estime que c’est une « poudre aux yeux ». Il se fiche complètement de son avancement et enseigne comme on va en guerre : avec des convictions. Syndicaliste, il anime régulièrement l’heure de réunion syndicale, une fois tous les deux mois environ. Cela se passe sur l’heure du déjeuner, afin de ne pas perturber les cours. Il est également membre du Conseil d’Administration. Il tient en effet à vérifier que tout se passe dans les règles, à fustiger la moindre inégalité potentielle. La dernière fois, il a voté contre le budget proposé par l’intendant : pour Rodrigue, il est inconcevable de refaire les cuisines alors que les manuels tombent en miettes. Le conseil d’administration a lieu trois à quatre fois par an, en soirée, mais il les prépare toujours avec beaucoup de sérieux, compulsant les documents dans leurs moindres détails, discutant avec les collègues pour prendre la température, faisant des recherches sur les textes en vigueur.

Prof d’EPS, Rodrigue n’a que peu de copies à corriger. De temps en temps (rarement), il fait une interro de vocabulaire ou de mise en espace. En revanche il prépare très minutieusement ses cours, plaçant chaque élève sur un terrain imaginaire, mesurant le périmètre réel, vérifiant la sécurité du matériel. Chaque matin, il est là à 7h30, bien que les cours ne commencent qu’une heure plus tard. Il est responsable de l’intégrité physique de ses élèves et un accident est si vite arrivé… Alors mieux vaut tout sécuriser.

Le mercredi après-midi, tandis que ses collègues corrigent ou vaquent à leurs occupations familiales, il encadre les élèves inscrits à l’UNSS. Il aime bien ces moments un peu informels où le rapport prof/élève est un peu différent. Les longs trajets en bus pour aller dans tel ou tel établissement ne le dérangent pas. Il se sent personnellement fier des matchs gagnés.

Par ailleurs, Rodrigue organise chaque année un voyage au ski.  Il y passe en général ses vacances de Toussaint. Il faut contacter les différents hébergements, demander des devis aux transporteurs, établir un budget, élaborer des séquences pédagogiques sur place avec les collègues accompagnateurs, vérifier les assurances, préparer les autorisations, commander des chocolats de Noël à une coopérative pour les vendre, afin de financer en partie le voyage, etc. Quel bonheur de voir les élèves prendre leur envol sur les pistes ! Cela vaut bien le sacrifice d’un quart de ses congés annuels. Le tout bénévolement, bien sûr, sauf si le chef est sympa et lui accorde quelques HSE.

Voilà, cher futur collègue, quelques exemples – non exhaustifs – de ce qu’est le quotidien d’un prof. Quand on embrasse le métier, on imagine qu’on va avoir une vie normale, voire même privilégiée puisque tout le monde le clame. Mais c’est loin d’être le cas.

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